Il n’y a rien de mieux que manger !
Je faisais partie de ces enfants qui traînaient dans la cuisine de leur Maman dès l’âge de quatre ans. Enfant, je ne rêvais pas de devenir cuisinier, je voulais surtout faire quelque chose de mes mains, comme paysagiste, être avec la nature (à l’époque, je pratiquais le VTT en compétition) plutôt qu’avec les gens.
Évidemment, j’ai révisé mon jugement depuis, car il est si plaisant de faire plaisir !
Je suis né à Bath, en Angleterre, et j’ai grandi dans le Périgord. À quinze ans, il a fallu choisir un métier, car l’école manquait de concret pour moi, et je n’avais aucune envie de longues études.
La pâtisserie comme point de départ, la cuisine comme évidence
J’ai commencé par la pâtisserie, où l’ambiance est plus douce qu’en restauration. Mais le côté immuable – sucre, farine, chocolat – m’a vite ennuyé. Je ne voulais pas faire des financiers de janvier à décembre, et il me manquait ce lien avec la nature.
Malgré tout, je ne suis pas fâché avec le sucre. Cette expérience m’a appris la rigueur et la technique, et le dessert reste la cerise sur le gâteau d’un menu ; tout est important jusqu’à la dernière bouchée.
Dans le Sud-Ouest, où j’ai grandi, il y a « les merveilles », des beignets typiques que je reprends parfois en mignardises au restaurant.
Ce sont des souvenirs d’enfance que j’aime partager à mes clients ; et en tant que cuisinier, c’est partager un bout de nous-même. Moi, ça me rend heureux !
L’ADN d’un chef voyageur
J’ai travaillé chez Robuchon à Paris pendant neuf ans, puis à Londres pendant cinq ans et demi, à L’Atelier Robuchon. Là-bas, j’ai redécouvert l’immense palette végétale, la faune et la flore sauvages. J’ai voyagé, goûté, appris… Je n’aime pas la cuisine figée.
L’ensemble de mon parcours définit mon ADN culinaire aujourd’hui, que l’on pourrait décrire comme « citadin » car j’aime le melting-pot ; Strasbourg, aussi cosmopolite que Londres, me correspond en cela.
Quand l’Alsace devient une évidence
En revenant de Londres, je cherchais quelque chose de plus simple, de plus cool, qui me laisse respirer et avoir du temps pour vivre.
J’ai été très bien accueilli à Strasbourg ; c’est l’histoire humaine et ma rencontre avec des personnes comme Cédric Moulot, ancien propriétaire du groupe, et Michael Wagner, sommelier et directeur de salle, qui m’ont convaincu de poser mes valises au 1741.
Et dans ce que l’Alsace sait faire de mieux, il y a les vins blancs ! Riesling et Sylvaner notamment. Ici, le terroir et le savoir-faire sont exceptionnels. Si l’Alsace ne figurait pas sur ma liste de destination, je suis pourtant tombé sous son charme. De ses beaux paysages du piémont vosgien aux grandes forêts outre Rhin…
L’excellence du local : une cuisine guidée par la nature
Ma vision du produit est simple : frais, local (tant que c’est bon !). Utiliser ce que la nature et la terre nous offrent.
Comme j’adore le poisson, je m’aventure volontiers jusqu’en Bretagne (clin d’œil à la région natale de mon épouse) ou en Normandie, mais je m’approvisionne peu en dehors de l’Hexagone, pas besoin d’aller loin pour trouver de belles matières.
Prenons la truffe noire du Périgord – un choix que certains trouveront peu original – pour moi elle raconte le sous-bois, le foyer, le confort.
Quand j’ouvre la première boîte, je ne peux m’empêcher de sourire.
Mais, en cette saison, j’aime presque tout autant le topinambour, par exemple. Ce n’est pas la rareté qui me séduit, mais le potentiel et les saveurs.
J’aime aussi travailler les légumes que les gens n’aiment pas, comme les choux. C’est un peu une revanche sur mes propres dégoûts d’enfant.
Faire apprécier les produits mal-aimés est un vrai challenge et un grand plaisir : je veux montrer que l’excellence peut très bien s’exprimer à travers des produits simples et paysans.
Le restaurant 1741
Au 1741, je propose des petits plats plutôt que de grandes assiettes, ce qui permet de créer des menus en sept, neuf ou onze temps avec accords de boissons.
Je me laisse le choix de surprendre mes clients pour les emmener dans mon voyage de saison. Les plats s’enchaînent avec logique.
Intellectualiser serait gâcher le plaisir ; manger doit rester un bonheur pour les sens, pas une tâche.
Je veux que mes clients se sentent bien comme chez eux, tout en s’évadant de leur quotidien.
La joie de vivre et le plaisir des papilles sont le cœur de ma cuisine. Il n’y a rien de mieux que manger ! Le « repas gastronomique des Français » est classé au patrimoine culturel immatériel par l’UNESCO, tout de même !
Mangeons, buvons, rééduquons nos palais, et faisons en sorte que le bien-manger ne soit pas un privilège.
L’avenir de la gastronomie entre fragilité et exigence
Pour l’avenir, je suis un peu perplexe. Tout cela a un coût. Je pense aux producteurs, aux agriculteurs, aux petites mains qui travaillent durement pour offrir le meilleur.
Quand on veut vendre du bonheur, comme dans nos métiers, on ne peut pas le faire au détriment des autres – comme le fait l’agro-industrie. Il faut tout rémunérer à juste hauteur.
On a tenté de rendre la haute gastronomie accessible, de la démocratiser… mais ça ne fonctionne pas.
Aujourd’hui, un restaurant ne peut pas survivre avec des produits devenus hors de prix, ni les petits producteurs souvent contraints d’arrêter (et ce, dans le meilleur des cas !). On doit avoir conscience que la haute gastronomie est un privilège et un moment de fête – pour ceux qui peuvent encore se le permettre.
Pour se maintenir et atteindre le seuil de rentabilité, il faudra certainement se diversifier : bistrot, hôtel, spa, …
Pour le moment, au 1741, nous progressons. Le secret pour durer ? Constance et rigueur. À ce titre, nous sommes la plus ancienne maison étoilée en continu à Strasbourg.
J’espère que les nouvelles générations s’accrocheront.
Tout évolue : techniques, produits, conditions de travail. Il faut rester curieux, ne jamais se reposer sur ses acquis, ne jamais tomber dans le piège du tout cuit.
La gastronomie est exigeante, mais les places restent à prendre : il y a de plus en plus de restaurant, et de moins en moins de cuisinier.
Hiver 2025
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