Bredele ou Bredala

Guerre millénaire, mais pacifique : la différence entre les Bredele bas-rhinois et les Bredala haut-rhinois tient surtout à quelques lettres.

Qu’importe le nom, pourvu qu’il y ait le plaisir ! Ces petits biscuits transcendent les générations et les frontières locales pour devenir le symbole d’une identité régionale douce et gourmande.

Ils racontent l’Alsace dans sa dimension la plus intime, celle des cuisines familiales, des arômes de beurre et de vanille flottant dans l’air, et du temps suspendu autour d’une table chargée de rires et de patience.

Au-delà de leur goût, les bredele sont un vecteur de mémoire : chaque bouchée transporte avec elle l’histoire d’une famille, l’exigence d’une recette transmise de mère en fille, de grand-mère en petit-enfant, et la fierté d’un territoire où la gourmandise se conjugue avec l’art du geste.

Histoire et tradition

Les bredele — qu’on les appelle bredala, braedele ou encore bredle — constituent un patrimoine vivant qui remonte au moins au XIVᵉ siècle.

Ces biscuits sont nés dans le cadre des cuisines familiales, pour célébrer Noël et la Saint-Nicolas, moments où l’effervescence du foyer se mêlait à la créativité et à la générosité.

À l’époque, la préparation des bredele n’était pas seulement un plaisir : elle permettait de renforcer les liens sociaux et d’offrir aux voisins et amis des douceurs maison, un geste qui traduisait autant l’hospitalité que la qualité du savoir-faire familial.

Les recettes étaient jalousement conservées, enrichies d’un ingrédient secret, d’une technique particulière ou d’un parfum qui devenait l’empreinte d’une maison.

Chaque étape de fabrication — le choix des farines, des matières grasses, des arômes, la découpe délicate à la main, puis la cuisson exacte dans un four domestique ou artisanal — exigeait minutie et attention.

C’est ce mélange de rigueur et d’affection qui donne aux bredele leur texture fondante ou croquante, leur parfum unique et leur couleur dorée.

Dans ce rituel, chaque geste compte, chaque minute passée devant le four se transforme en acte de transmission, et chaque fournée en une mémoire partagée, aujourd’hui encore célébrée par des générations qui s’approprient ces recettes comme un héritage vivant.

La Réforme qui mit les bredele sur la sellette

En 1570, la Réforme protestante, adoptée à Strasbourg depuis 1525, influençait profondément les pratiques religieuses et sociales de la ville.

Le prédicateur luthérien Johannes Flinner s’éleva en chaire contre le culte des saints qu’il considérait comme une « survivance du papisme ».

Impressionné par ce sermon, le Conseil des XXI de Strasbourg décida le 4 décembre 1570 d’abroger la Saint-Nicolas, célébrée le 6 décembre – une fête où les enfants recevaient habituellement friandises, fruits secs et biscuits épicés.

Cette décision eut des répercussions sur les traditions locales. Le marché de la Saint-Nicolas, qui permettait aux habitants d’acheter des agrumes, des épices et d’autres produits nécessaires à la préparation des bredele, fut supprimé.

Les ménagères, privées de ces ingrédients essentiels, exprimèrent leur mécontentement.

Pour compenser cette suppression, le marché fut renommé « Christkindelsmärik » (« marché de l’Enfant Jésus »).

Ce nouveau marché, centré sur la Fête de la Nativité, se tenait désormais une semaine avant Noël, attirant des marchands de jouets, de pain d’épices et d’autres produits artisanaux.

Ainsi, cette interdiction du marché de la Saint-Nicolas en 1570 à Strasbourg marqua un tournant dans les traditions de Noël de la ville, donnant naissance à l’un des plus anciens marchés de Noël, le Christkindelsmärik, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de marché de Noël de Strasbourg.

Les bredele, autrefois liés à la Saint-Nicolas, ont pu survivre à la Réforme de 1570 en se rattachant à Noël, devenant un symbole de l’Avent et de la tradition familiale alsacienne.

Les Mémoires de la baronne

Dans ses Mémoires, la baronne d’Oberkirch, née Henriette Louise de Waldner de Freundstein, nous offre un témoignage vivant et minutieux de la vie quotidienne et des coutumes alsaciennes au XVIIIᵉ siècle.

Femme de lettres et figure emblématique de la noblesse régionale, elle décrit avec une précision étonnante les usages, les habitudes alimentaires et l’ambiance des grandes fêtes, révélant combien la gastronomie, même dans ses formes les plus simples, était un marqueur social et culturel.

Parmi ses observations, elle consacre une attention particulière au Christkindelsmärik de Strasbourg, l’un des plus anciens marchés de Noël d’Europe, véritable cœur battant des festivités.

Là, les étals débordaient de douceurs et de curiosités, et les bredele y occupaient déjà une place centrale, symboles d’une tradition familiale et festive.

À cette époque, les bredele n’avaient pas encore atteint la diversité actuelle : les recettes restaient relativement simples, centrées sur quelques parfums emblématiques comme l’anis, la cannelle ou le beurre vanillé.

Pourtant, les écrits de la baronne montrent clairement leur popularité croissante et leur rôle dans la célébration de Noël et de la Saint-Nicolas.

Ces biscuits n’étaient pas seulement des gourmandises, mais de véritables témoins d’une culture en pleine effervescence, un lien tangible entre les générations et un vecteur de partage au sein des familles et de la communauté.

La manière dont elle les évoque révèle également que ces douceurs jouaient un rôle social : elles marquaient l’hospitalité, la générosité et le raffinement des maisons alsaciennes, prémices des centaines de formes, motifs et parfums qui feront plus tard la richesse des bredele et des Bredala d’aujourd’hui.

Diversité des formes et des recettes

L’une des grandes richesses des bredele réside dans leur diversité presque infinie, tant sur le plan des goûts que des formes.

Selon les villages, les familles, et même les générations, chaque biscuit raconte une histoire unique.

Certains se distinguent par leur croquant délicat, d’autres par un moelleux fondant qui s’épanouit en bouche.

Les parfums classiques — vanille, citron, cannelle — côtoient des saveurs plus audacieuses ou oubliées, comme la rose, l’anis, la noix, la noisette ou la pistache, témoignant d’une créativité constante et d’une ouverture aux influences extérieures.

La forme des bredele est tout aussi expressive que leur goût.

Les moules anciens sculptent les biscuits en étoiles scintillantes, en animaux symboliques, en cœurs ou en motifs religieux, transformant chaque fournée en un hommage tangible au patrimoine alsacien.

Des noms comme Spritz, Butterbredle, Anisbredle, Zimtsterne ou Schwowebredle ne sont pas que des appellations : ils incarnent des histoires locales, des rituels familiaux et des variations minutieusement transmises de génération en génération.

Cette diversité n’est pas purement décorative : elle révèle la capacité des artisans et des familles à adapter les recettes aux saisons, aux festivités ou aux goûts personnels, tout en maintenant l’équilibre des saveurs et la qualité des textures.

Au-delà de l’esthétique et du goût, cette pluralité symbolise un véritable patrimoine vivant.

Elle illustre comment la créativité se mêle à la tradition pour nourrir l’identité culinaire alsacienne, faisant des bredele un pont entre mémoire, innovation et plaisir partagé.

Chaque biscuit devient ainsi un petit récit, où les mains de ceux qui le façonnent transmettent autant de soin et d’amour que de savoir-faire.

Notre sélection de bredele

Schwowebredele

Petits sablés beurrés et délicatement dorés, les Schwowebredele, littéralement « gâteaux souabes », trouvent leur origine dans le Wurtemberg et ont été introduits en Alsace au XIXᵉ siècle.

Leur pâte, riche en beurre et parfois relevée d’une pointe de vanille ou de zeste de citron, gagne en profondeur lorsque reposée plusieurs heures, voire toute une nuit. Cette maturation permet aux arômes de se concentrer et à la texture de devenir fondante tout en restant légèrement croquante sur les bords.

Traditionnellement, ils étaient façonnés à la main en petits rectangles ou en étoiles et servis dans les salons lors des veillées de Noël.

 Spritzbredele

Reconnaissables à leur forme torsadée ou en S, obtenue grâce à un hachoir à viande ou une presse spéciale, les Spritzbredele comptent parmi les bredeles les plus populaires d’Alsace. Composés de beurre, de sucre, d’amandes finement moulues et d’une touche de vanille, leur nom provient de l’allemand « spritzen » (« presser »), qui désigne la technique d’extrusion de la pâte.

Leur fabrication demande précision et régularité : chaque torsade doit conserver sa forme pendant la cuisson pour offrir une texture croquante à l’extérieur et fondante à l’intérieur. La popularité des Spritzbredele dépasse aujourd’hui les frontières régionales, devenant un symbole incontournable des tables de Noël.

Cocosbredele

Ces petits gâteaux moelleux, nés au XIXᵉ siècle avec l’arrivée du sucre et de la noix de coco dans les foyers bourgeoises, évoquent de véritables nuages parfumés.

La pâte, légère et aérienne, est mélangée avec de la noix de coco râpée, parfois relevée d’un blanc d’œuf pour un effet meringué. Dorés au four mais tendres au cœur, les Cocosbredele apportent une note exotique et sucrée à la variété des bredeles.

Leur simplicité apparente cache un savoir-faire précis : trop de cuisson les rendrait secs, trop peu les laisserait pâteux.

Anisbredele

Avec leur croûte lisse et leur parfum prononcé d’anis, les Anisbredele sont parmi les plus anciens bredele d’Alsace. Ils remontent aux pâtisseries monastiques du Moyen Âge, où l’anis était prisé pour ses vertus digestives et apaisantes.

La pâte, souvent enrichie d’un peu de sucre glace, est roulée en petits bâtonnets ou en formes simples et cuite à point pour conserver un goût subtil mais distinct. Les recettes originales, retrouvées dans des carnets du XVIIᵉ siècle, témoignent de la transmission intergénérationnelle de ce biscuit emblématique.

Damiers et Marbrés

Ces biscuits bicolores, composés de pâte à la vanille et de pâte au cacao, incarnent l’amour du détail et de l’esthétique dans la pâtisserie alsacienne. Introduits à la fin du XIXᵉ siècle, à une époque où la présentation des gâteaux devient aussi importante que le goût, ils sont souvent coupés en petits carrés ou en rectangles pour révéler leur motif graphique.

Le contraste entre le cacao profond et la vanille douce symbolise le mariage du goût et de l’art, faisant de chaque bouchée un plaisir à la fois visuel et gustatif.

Labkueche

Ancêtre des bredele modernes, le Labkueche (ou Lebkuchen) est un pain d’épices alsacien dont l’origine remonte au Moyen Âge. Les moines l’utilisaient pour conserver les gâteaux d’hiver grâce au miel, véritable conservateur naturel, tout en parfumant la pâte avec cannelle, clou de girofle, gingembre et muscade.

Moelleux et aromatique, il est étroitement lié aux grands marchés de Noël et aux traditions religieuses de la région, incarnant la rencontre entre gourmandise et patrimoine.

 Vanille Kipferl

Ces sablés en forme de croissant, parfois appelés Demi-Lunes, viennent de l’Empire austro-hongrois et furent introduits en Alsace au tournant du XXᵉ siècle. Façonnés à base de poudre d’amande et de beurre, puis roulés dans le sucre glace encore tièdes, ils offrent une texture fondante et une saveur douce et beurrée.

Leur forme évoque subtilement les croissants de lune et fait écho à la tradition viennoise, témoignant de l’influence culinaire transfrontalière sur la région.

Zimtsterne

Ces « étoiles à la cannelle » sont un classique germano-alsacien datant du XVIIᵉ siècle. Réalisées à partir de blancs d’œufs, de poudre d’amande et d’une généreuse dose de cannelle, elles se distinguent par leur glaçage blanc lisse, évoquant la neige sur les toits alsaciens.

Leurs formes sont souvent découpées à l’emporte-pièce pour créer des motifs réguliers, et leur cuisson demande précision pour éviter que la meringue ne craque, garantissant une texture légèrement moelleuse à cœur et croquante à l’extérieur.

Mandelbari

Nées au début du XXᵉ siècle, ces « barres aux amandes » se rapprochent du biscuit florentin. Mêlant miel, amandes effilées et parfois chocolat, elles incarnent l’influence pâtissière suisse et allemande sur la confiserie alsacienne.

La cuisson exige une attention particulière : le miel caramélise légèrement, donnant une croûte dorée et parfumée tandis que l’intérieur reste moelleux et riche en fruits secs.

Leckerli

Originaire de Bâle, le Leckerli ou Basler Läckerli est un petit gâteau moelleux à base de miel, d’amandes, de fruits confits et d’épices. Introduit en Alsace au XIXᵉ siècle, il se distingue par son parfum complexe et son côté nourrissant, proche du pain d’épices.

Sa forme carrée ou rectangulaire et sa texture dense en font un biscuit qui se conserve longtemps, idéal pour accompagner le thé ou le café lors des longues veillées hivernales, et qui rappelle les échanges commerciaux et culturels entre la Suisse et l’Alsace.

Si vous possédez le magazine papier food&good
Hiver 2025

saisissez le code de 6 chiffres figurant à droite sur la couverture.

Contactez-nous

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription est confirmée.

Newsletter Food and Good

Demande d'accès aux textes & photos