Talent à suivre
Zacharie Kraemer

Jusqu’au jour où l’on se sent prêt à tenir la barre…

Je suis arrivé par hasard dans la restauration. Personne dans ma famille ne m’y a poussé. On n’était pas de fins gourmets, simplement des gens de la campagne attachés au goût des bonnes choses.

Ma mère tenait un grand potager qu’elle cultivait avec soin et dont elle nourrissait la maison. Elle préparait une cuisine familiale, simple, où le produit comptait plus que le reste. Elle savait notamment choisir de belles pièces chez le boucher.

Je garde aussi en mémoire les grandes tablées, les buffets des fêtes, les repas qui rassemblent. Tout ça a sûrement pesé dans la balance.

Je veux être cuisinier

C’est un dimanche, pendant la messe, que j’ai glissé à ma mère : « Je veux être cuisinier ». L’idée n’a pas tout de suite convaincue ma famille, mais j’étais déterminé. L’école ne me passionnait pas, j’avais besoin de concret.

Alors j’ai fait deux stages de découverte : à La Casserole chez Éric Girardin, puis Au Cygne chez François Paul.

L’effervescence des cuisines, le rythme, la pression, et surtout le sourire des clients en sortant… Tout ça m’a frappé. J’avais trouvé ma voie !

Je suis entré au lycée Aristide Briand à Schiltigheim, pour un bac pro cuisine. Trois années qui m’ont réconcilié avec les études, m’ont donné le goût du travail bien fait.

Puis j’ai suivi une mention complémentaire à Illkirch, centrée sur la cuisine allégée. On y apprend à réduire les matières grasses, à repenser les équilibres, à questionner les traditions bourgeoises.

C’était une autre manière de voir la gastronomie, déjà plus consciente. Je découvre ce que ce métier a de fascinant : la création est infinie, il n’y a pas de vérité absolue, avec un champ des possibles incroyable.

En même temps, il impose un cadre presque militaire, une discipline extrême. Et c’est ce mélange-là qui m’a plu : la rigueur et la liberté à la fois.

Ce métier demande du courage, du travail et du sacrifice. Il blesse parfois, mais il fait grandir. Jusqu’au jour où l’on se sent prêt à tenir la barre, et à diriger.

L’apprentissage d’une vie

Ma première vraie expérience, je la vis au Relais de la Poste à La Wantzenau, en 2012. Je découvre la réalité brute des cuisines : 60 à 70 heures par semaine, la pression du service, l’exigence permanente.

Sous la houlette de Laurent Huguet, ancien chef du Crocodile, je découvre aussi la grande cuisine bourgeoise, raffinée, précise. Et son carnet de fournisseurs, d’une richesse prodigieuse, me fait rêver.

Pendant deux ans, je donne tout, j’apprends, j’évolue vite. Mais j’ai envie de reconnaissance, de progression. On ne me l’accorde pas tout de suite, alors je décide de partir.

Direction Le Crocodile, à Strasbourg, où je deviens chef de partie. Je me retrouve dans le bain des responsabilités à seulement 20 ans, en pleine période de fêtes et dans un rush qui nous laisse hors d’haleine.

Arrive le couperet : la perte de l’étoile, et une remise en question totale. La déception l’emporte, je quitte l’Alsace.

En 2018, je commence à chercher un lieu pour m’installer. Rien ne correspond – trop cher ou pas intéressant. Je poursuis alors ma route à L’Arnsbourg chez Fabien Mengus et j’y reste six ans, presque sept. J’y apprends à la fois sur moi, sur le vin et sur le management.

Une période de maturité et d’introspection qui, avec le recul, me fait prendre conscience que chaque étape de mon parcours m’a préparé.

Puis vient le bon lieu au bon moment : je rachète le terrain potager de mes parents à Oberlauterbach. C’est là que je décide de construire mon restaurant. « Est-ce que ça va marcher ? »

J’ai envie de faire de la haute gastronomie et non de me plier aux exigences culinaires du secteur.

Il faut quatre ans de montage à ce projet – et la période du covid ne fait que renforcer ma détermination.

J’ai beaucoup sacrifié de ma vie personnelle et économisé pour me donner les moyens et prouver mon sérieux et ma ténacité.

Je garde un esprit positif : quand on est pris par ce métier, on ne perd jamais l’étincelle.

La Villa K

À la Villa K, je veux mettre en avant le travail des producteurs, dans une vision large, mais raisonnée. Je reste ancré en France, sauf pour quelques produits — les épices, les poivres, les huiles — qui ne trouvent pas d’équivalent ici.

J’ai besoin de m’associer, à juste échelle, aux bonnes démarches des producteurs, car la cuisine se construit à plusieurs. Les contraintes ne sont pas des freins, elles nous obligent à réfléchir et à innover.

On devrait tous consommer en fonction de l’offre, pas l’inverse, ce n’est pas aux producteurs de s’adapter à la demande. C’est pourquoi, dans mon restaurant, la carte change sans cesse.

Nous travaillons en flux tendu, avec des stocks minimes, réapprovisionnés tous les quatre ou cinq jours. J’y tiens, c’est pour moi un gage et qualité et de fraîcheur.

La Cuisine des Saisons

L’hiver, j’aime le gibier, les bouillons, les légumes oubliés. C’est une cuisine de réconfort.

J’ai un faible pour le lapin, un produit que j’adore travailler et que mes clients redemandent sans cesse – qui tend, de fait, à devenir un plat phare.

Et quel plaisir de prélever dans le jardin les noix qui serviront l’hiver prochain ou les dernières herbes fraîches.

Comprendre la saisonnalité, c’est d’abord observer ce qui nous entoure. Au restaurant, les grandes baies vitrées donnent sur la campagne extérieure, on y voit les biches et les daims courir dans les champs.

Ce tableau vivant me rappelle pourquoi j’ai choisi ce lieu, et pourquoi je ne regrette pas Strasbourg. Ma cuisine, je la veux sincère, vraie et de partage.

Dans ces espaces ouverts et vitrés, j’ai l’impression de me mettre totalement à nu. C’est important pour moi de proposer une cuisine qui ne ment pas. Je n’ai rien à cacher, il n’y a pas besoin de coulisses.

Réconciliation, Bienveillance et Cuisine : mon pari pour l’avenir

Pour l’avenir, je reste prudent. Le milieu de la restauration évolue, et je crains que l’écart se creuse encore : d’un côté les grands étoilés, de l’autre la restauration à bas prix.

L’entre-deux souffre. J’espère de tout mon cœur qu’on arrivera à rebondir. Mais je garde l’espoir, parce que je suis bien entouré.

Nous sommes six d’une petite équipe soudée, où règnent respect, bienveillance et remise en question. J’ai à cœur de rompre avec les anciens codes, d’offrir un management humain, positif, sans brutalité.

Peut-être que je me trompe, ou pas ! En tout cas, j’espère prouver qu’une autre voie est possible. Le monde est déjà assez à cran, la fatigue sociale mène à trop de violence.

Alors si ma cuisine peut, à son échelle, ramener un peu de douceur, de vérité et de vivre ensemble, alors je n’aurai rien raté !

Si vous possédez le magazine papier food&good
Hiver 2025

saisissez le code de 6 chiffres figurant à droite sur la couverture.

Contactez-nous

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription est confirmée.

Newsletter Food and Good

Demande d'accès aux textes & photos